Interview exclusive : Corine Stübi (KissTheDesign), experte en design du XXe Siècle
Cofondatrice – avec son compagnon Yanick Fournier - de la galerie KissTheDesign à Lausanne, Corine Stübi est une experte en design du XXe qui s’emploie à dénicher et à mettre en valeur les trésors du design suisse, américain, italien, français et danois de 1930 à 1985. Nous sommes partis lui demander quels étaient ses coups de coeur, son parcours personnel ainsi que celui de sa magnifique galerie.
Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs
Mon nom est Corine Stübi, je suis née en 1977 dans le canton de Neuchâtel, je suis cofondatrice et responsable de la galerie KissTheDesign à Lausanne avec mon associé Yanick Fournier.
Quelle a été votre formation ?
J’ai été formée en arts visuels à la HEAD à Genève puis en design de média à la Kunsthochschule für Medien de Cologne. Dans ces deux écoles supérieures d’art, j’ai pu développer une pratique artistique et j’ai acquis un important background théorique, notamment en histoire de l’art. À la Kunsthochschule für Medien (KHM), j’ai été formée à la réalisation et à l’art vidéo auprès de professeurs de renommée internationale comme Valie Export.
Comment s’est déroulée votre carrière ?
J’ai une carrière assez atypique et qui a pris de nombreux chemins ! Grâce à ma formation à la Kunsthochschule für Medien (KHM) et les oeuvres que j’ai développées là-bas, j’ai été remarquée par des maisons de production en Angleterre et aux États-Unis, avec qui j’ai collaboré pendant et après mes études sur la réalisation de clips vidéos.
De retour en Suisse, j’ai enseigné en parallèle la vidéo à la Hochschule der Künste à Berne et dans plusieurs écoles privées. C’est à ce moment que j’ai commencé à m’intéresser au design du XXe, tout d’abord en collectionnant puis en les vendant pour pouvoir acquérir de nouvelles pièces. Ce qui était collection et passion est devenu presque naturellement un business, c’est ce qui m’a motivée à tout laisser tomber et à ouvrir mon propre espace avec Yanick Fournier (qui est mon compagnon et associé).
Nous avons trouvé, en 2010, notre espace actuel à l’Avenue de Rumine 4 à Lausanne. Son architecture nous a même permis de combiner mes deux passions : le design du XXe et l’art contemporain, grâce à de très hauts murs permettant des accrochages d’oeuvres d’art. Avec le temps, j’ai pu acquérir un degré d’expertise en design qui a permis à la galerie d’être reconnue comme une adresse incontournable pour les amateurs et collectionneurs de mobilier du XXe à Lausanne.
Depuis 2014, je siège également au comité des amis du MUDAC (Musée de design et d’arts appliqués contemporains) et collabore avec le magazine Espaces Contemporains.
D’où vous vient cette passion pour le mobilier vintage ?
Probablement que mes études y sont pour beaucoup, car finalement art et design sont deux disciplines complémentaires. Et quand on s’intéresse à l’histoire des formes en art, on y est aussi sensible en design ! Le XXe siècle a vu la naissance du design, c’était donc un champ des possibles incroyable ! On le voit bien avec les nombreux mouvements qui se sont succédé et cohabitaient, du modernisme au postmodernisme et la manière dont cela se traduisait selon les pays.
Quels sont vos designers favoris ?
C’est difficile à dire, il y en a tellement ! Ça va de Charlotte Perriand à Finn Juhl, en passant par les Eames, Ettore Sottsass, Giò Ponti, Serge Mouille, Marco Zanuso et beaucoup d’autres...
Pour revenir au thème de notre dernière Lifestyle Selection : quel est le designer italien ayant eu le plus grand impact sur vous ?
J’aime beaucoup le travail d’Ettore Sottsass, qu’on connait principalement comme fondateur du groupe Memphis, même si son travail ne se résume pas à cette seule période. Il a une approche conceptuelle du meuble et l’aborde de manière artistique, en le plaçant dans un contexte historique pour mieux le déconstruire.
Quelle place possède, selon vous, le design industriel italien dans l’histoire de cette branche ?
Il possède une place très importante. De nombreuses innovations techniques ont vu le jour en Italie, par exemple l’utilisation de mousses Pirelli pour les assises d’Arflex signée Marco Zanuso (Lady), grâce à des entreprises en plein boom et en recherche de nouveautés sur lesquels les designers italiens pouvaient s’appuyer.
L’importance du design italien s’exerce aussi sur le plan théorique. En effet, les designers italiens à l’image de Giò Ponti étaient également des penseurs de la discipline. Sa revue Domus a eu une grande influence sur de nombreux designers un peu partout dans le monde, tout comme le prix Compasso d’Oro qu’il a aussi initié.
Le mouvement moderniste italien emmené par Giò Ponti, Carlo Mollino (etc.) représente le bon goût à l’italienne, des lignes pures et élégantes qui font aujourd’hui encore l’attrait du style italien des années 50. Puis viennent des designers tels que Joe Colombo qui vont réfléchir à du design/environnement et vont contribuer au design pop avec l’utilisation de couleurs vives de formes organiques ainsi que de nouveaux matériaux, tels que le plastique (par exemple, avec la marque Kartell).
Un design qui contrairement au modernisme italien s’éloigne de la fonctionnalité et de l’élégance pour une approche plus conceptuelle, voire politisée qui mèneront aux mouvements de design radical, à la fin des années 60 (Archizoom, Superstudio, etc.) et à Memphis (Sottsass, Mendini, etc.) dans les années 80. Des mouvements qui reviennent très en force aujourd’hui et influencent de nombreux designers contemporains, autant dans la forme que dans l’esprit anti-design.
Comment est née l’idée de créer KissTheDesign ?
C’est parti d’une envie de collectionneur et d’indépendance. L’envie de créer un lieu d’interdisciplinarité comme il n’en existait pas en Suisse romande, où on comprend le design du XXe et l’art contemporain dans une perspective plus large, comme on pourrait le voir dans de grandes métropoles.
Le concept était au début compliqué à faire comprendre - dans un contexte où habituellement les disciplines sont cloisonnées - mais pour finir, ça a pris. La galerie intéresse maintenant autant les collectionneurs d’art que de design.
Comment faites-vous pour dénicher vos incroyables pièces ?
C’est beaucoup de travail, nous multiplions les sources pour dénicher de belles pièces et nous pouvons également nous appuyer sur un réseau fiable de marchands, avec qui nous collaborons depuis 5 ans.
La Suisse romande est-elle un lieu propice pour trouver du mobilier vintage ?
Pour le design danois, oui, car il était très populaire en Suisse romande dans les années 60, ou encore les productions de Vitra ou Knoll qui ont meublé de nombreuses institutions romandes. Pour le reste, nous sommes obligés d’étendre nos recherches partout en Europe.
Les Suisses sont-ils des passionnés de design ?
Oui, tout à fait ! En Suisse romande, l’intérêt pour le design vintage a explosé avec le premier salon du design de Vevey, en 2008. C’est arrivé un peu sur le tard, mais depuis ça n’a pas faibli ! Pour le design contemporain, l’implantation de prestigieuses écoles suisses de design, dont l’ECAL, contribue au rayonnement et à l’attractivité pour ce domaine.
Quelle sont les plus belles et rares pièces que vous ayez eue en magasin ?
Une enfilade ESU première édition Herman Miller de Charles & Ray Eames et une Valet chair de Hans J. Wegner, également première édition. Ce sont mes deux coups de coeur et les plus rares. Mais pour les plus belles, j’ajouterais aussi le miroir Ultrafragola et l’étagère
Carlton d’Ettore Sottsass.
www.kissthedesign.ch