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10 février 2017

Rudy Ricciotti (architecte); ou comment transfigurer le réel

Issu des quartiers modestes du sud de la France, plus précisément de Bandol, Rudy Ricciotti est un architecte intuitif, tonitruant, franc du collier, impatient et courageux ; un créatif amateur d’art et d’expérimentations, qui puise son énergie dans les difficultés. Pour lui, l’architecture est une affaire sociale et politique, un sport de contact qui se joue en équipe, dont le capitaine est un meneur d’hommes, sans jamais être une « diva ». Portrait d’un visionnaire, qu’on adore ou qu’on déteste, mais qui ne laisse jamais personne indifférent !

Rudy Ricciotti, en bref

 

C’est à Alger, en 1952, que nait Rudy Ricciotti ; fils d’un ouvrier italien dont il hérite son nom aux consonances transalpines. Son enfance se passe dans les quartiers modestes du Var, avant de partir étudier l’architecture à Genève (1974) puis à Marseille (1980). Très tôt, le petit Rudy suit son père sur son lieu de travail et découvre le métier de la construction au sein des chantiers, et grâce aux ouvriers qui les animent. Cet esprit d’équipe, aux racines prolétaires bien ancrées, caractérisera - par la suite - toute sa carrière professionnelle.

 

Le béton radical et sensuel

 

Si l’on devait résumer l’œuvre de Ricciotti en une seule et unique matière, ce serait sans nul doute le béton ; matériau, au passage « social », parfait pour éviter la délocalisation de l’emploi des ouvriers. Un exemple d’utilisation du béton ? Le fameux stadium de Vitrolles, bâtiment qui l’a fait connaitre au plus grand nombre, une véritable œuvre monolithique emplie d’une radicalité propre aux artistes convaincus de leur démarche.

Le choix de matériau réside en une réelle « croyance » dans ladite matière. Elle repose entièrement dans les confrères qui la fabriquent. Ce n’est pas l’ingénieur, ni l’architecte qui fabriquent le béton, cette matière qui permet au projet d’exister, et aux limites techniques d’être repoussées, c’est bel et bien le fabricant. Ricciotti aime lancer des défis à ses jeunes architectes, comme celui de faire « parler la matière », de défier la physique afin d’obtenir des résultats innovants. Il est question ici de faire un pied de nez aux traditions modernistes, d’ailleurs l’architecte aime se définir volontiers comme un « traître de la modernité ».

 

Artiste complet et même écrivain

 

Artiste il l’est profondément, sur tous les fronts : écrivain (il compte plus d’une dizaine de livres à son actif) et artiste plasticien ; ses œuvres sont d’ailleurs collectionnées. Ricciotti est lui-même un collectionneur d’art averti qui, même lorsqu’il n’en menait pas large financièrement, a toujours préféré investir dans une œuvre que dans une belle table d’un grand restaurant. Comme quoi, l’art n’est pas qu’une affaire de riches, mais surtout une affaire de goût et de priorités.

 

De père en fils, la matière en (r)évolution

 

L’architecte est alors âgé de moins de quarante ans, sa carrière est lancée ; son travail deviendra plus « maniériste » mais ne sera jamais « maniéré ». Sa passion ? La construction locale, avec des professionnels du cru - conjuguant relation au paysage et ornementation structurelle - sans jamais renoncer à la recherche et aux évolutions techniques. Son fils Romain, ingénieur des plus doués, n’est pas étranger au processus et a permis d’ailleurs à son père de tirer profit des nouvelles technologies liées au béton afin de continuer à expérimenter et surprendre.

 

L’équipe avant l’égo

 

Architecte « social » et engagé, Rudy Ricciotti et son travail ne peuvent être envisagés que par le prisme d’un effort collectif, que par l’association de son savoir-faire unique à celui des nombreux intervenants indispensables à la création d’un bâtiment. Toujours prêt à expérimenter, définissant d’ailleurs la construction comme « un combat entre l’architecture et son programme », Ricciotti mène ses projets à bon port, main dans la main avec son équipe qu’il célèbre publiquement, la plaçant toujours avant soi-même. Le secret se situe dans la superposition des savoirs et des métiers ; encore une fois, l’égo est laissé à la porte d’entrée.

 

Au plus près du risque

 

Autoproclamé « ingénieur raté » - il possède une double formation d’architecte et génie civil - Ricciotti aime rappeler que sans les ingénieurs, ceux à même d’obtenir les appréciations techniques nécessaires à l’expérimentation, l’architecture ne pourrait tout simplement plus évoluer. Sans prise de risque, pas d’évolution. Ce sont les ingénieurs qui prennent le plus de risques et ils possèdent donc, de facto, une place centrale dans chacune de ses réalisations. Et si ces derniers acceptent de participer aux projets de Ricciotti, à ses expérimentations, c’est parce qu’ils savent que l’architecte assume les risques, protège ses employés et les met aussi en avant.

 

Le secret de la « figure fausse »

 

Ancien élève « nul », quasi autiste, passé à « nouveau meilleur en tout », le parcours scolaire de Ricciotti est celui d’un gamin à qui, un beau jour, un voisin a donné des cours avant l’école, lui transmettant ainsi l’amour de la géométrie. Comme souvent avec Ricciotti, l’angle d’apprentissage est opposé à celui auquel on s’attend. La phrase qui a changé sa façon d’envisager les mathématiques, et toutes les matières dites techniques : « la géométrie, c’est l’art de raisonner juste, sur des figures fausses ». Le ton est donné.

 

L’architecture descriptive et constructiviste

 

La suite se passe à la Haute Ecole du paysage, d’ingénierie et d’architecture de Genève, où Ricciotti devient ingénieur. Il y appréciera l’enseignement pragmatique et rigoureux qu’il emploie encore aujourd’hui sur les chantiers, ces cours lui apprennent l’art d’appréhender les ordres de grandeur, afin de « réduire l’escroquerie intellectuelle », comme il aime à le souligner. C’est au sein de cet établissement qu’il rencontre le professeur Olivier Rossel, qu’il définit d’ailleurs comme sa seule et unique « influence », responsable de lui avoir fait découvrir l’architecture descriptive ainsi que l’architecture constructive.

 

Commando libertaire

 

Ricciotti dévoile volontiers, lors de ses nombreuses interviews, que l’anxiété est le moteur de son travail. Il ajoute même qu’elle est propre à la question existentielle de l’architecture. Il ne dessine pas de croquis et délègue beaucoup au chef de projet qui choisit lui-même son assistant. Ce dernier possède toujours un lien direct avec le projet, et son environnement. L’architecte français aime définir son équipe comme un « commando libertaire » avec ses leaders, tous des proches formés par ses soins, des personnes avec qui il partage des « complicités de combat », et surtout la même envie d’en découdre.

 

Pas de héros, pas d’artiste ; tout est question d’énergie

 

Quant aux départs des projets, ils ne démarrent ni dans la souffrance ni dans le plaisir. Ricciotti dit analyser le programme d’une façon empirique, c’est une sorte d’enquête de nuit dont le but est de voir à quels dangers son équipe et lui-même seront confrontés (manque de surface foncière ? Manque de densité ? Etc.). La suite est un plan de campagne avec des objectifs pour chacun, dont la synthèse de ces mêmes objectifs mène à un résultat concret.

Il n'y a pas de héros, pas d’artistes, tout est une question d’énergie commune. Le rôle de l’architecte est alors principalement celui de réussir à embarquer tout le monde vers la même direction, dans un faisceau d’énergie ; l’intelligence suit l’enthousiasme, le raisonnement suit l’énergie. Ricciotti définit son rôle celui de donner une croyance, d’offrir un combat à mener. Pour amener les collaborateurs jusqu’au bout, il faut leur créer un défi la culture du défi, Il faut « travailler » les hommes afin d’en faire sortir le meilleur. Au final, les guerres les plus dures ne sont-elles pas celles que l’on mène avec soi-même ?

 

Récompenses
 

  • Grand Prix National de l’Architecture
  • Médaille d’Or de la Fondation de l’Académie d’Architecture
  • Chevalier de la Légion d’Honneur
  • Commandeur de l’ordre des Arts et des Lettres
  • Officier de l’Ordre National du Mérite
  • Membre de l’Académie des technologies

 

Quelques-unes de ses plus belles réalisations

 

Musée des civilisations de l'Europe et de la Méditerranée (MuCEM)

 

Ville : Marseille

Date d’inauguration : 2013

Surface : 44’000 m2 (sur trois sites)

 

Fonds régional d'art contemporain Basse-Normandie

 

Ville : Caen

Date d’inauguration : été 2017

Détails : 979 œuvres de 393 artistes

 

Complexe sportif de Lille

 

Ville : Lille

Date d’inauguration : 2006

 

Département des arts de l'Islam du Musée du Louvre

 

Ville : Paris

Date d’inauguration : 2012

Surface : 3’000 m²

 

Centre culturel Aimé-Césaire

 

Ville : Gennevilliers

Date d’inauguration : 2013

Surface : 2’330 m² et 4 niveaux

 

Stade Jean-Bouin

 

Ville : Paris

Date de rénovation : 2013

Détails : 20’000 places assises

 

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